
Le bel amour
La première fois qu’il vit Louisa, il l’écoutait dans un coin du cercle sans ciller et tout en la tenant du regard il se dit, nous vieillirons ensemble. Maintenant qu’il découvrait cette vallée à la beauté inépuisable, ce même sentiment lui revint, il pensa c’est ici que je veux mourir dans la lente respiration des saisons, dans le déploiement de chacune qui va des premiers pas au dernier râle, sous le torse du vieux roc où s’ébattent la nuit venue, les astres, à l’ombre du chêne foudroyé près de sa poitrine ouverte où semble bruire des ailes et s’échapper des craillements. Venir m’asseoir au crépuscule sur ce banc contempler la rivière qui frémit en contrebas, c’est une ivresse qui n’est pas monnayable. C’est ici que je veux vivre, où la main d’un ami retrouvé se tend.
À ton étoile
À mon Punk’y…
Les temps modernes – Charlie Chaplin 1936
Thé de hautes-montagnes

L’ancolie, Jean-Loup Trassard
Sur l’espace blanc lisse qui devant ne cessait de commencer à ses pieds, il était en apparence libre, mais pour chaque pas cherchait une direction nécessaire, s’efforçant de serrer au plus près l’itinéraire qu’il ressentait comme juste et ne découvrait que par bribes. Et celui-ci encore ne le conduisait point au lieu où il croyait aller, mais un peu à côté, car l’inconnu ne pouvait être là où, même vaguement, il l’avait rêvé. Il se voulait de ceux qui, revenant hirsutes, solitaires, sans bruit, rapporteraient des limites du monde, fourrure contre fourrure, ces preuves tendues à plat, séchées, sauvages, avant de disparaître encore vers on ne savait quoi, régions que leurs pas dessinent.
Sans doute était-ce parce que jamais il ne savait jusqu’où il parviendrait que l’émerveillait tant la première neige. Au rebord en zinc de la fenêtre elle suspendait le pont, une fois de plus, vers ailleurs. Blancheur à d’autres peut-être trop large, dont l’aridité lui donnait immédiatement envie de s’élancer. Et bien après, tandis qu’il approchait des terres décelées, inventées au-delà de ses voyages précédents et qu’il croyait splendides giboyeuses infinies, sans même être certain de les atteindre tout à fait, mais quand la ligne du sol ou la silhouette des arbres présentaient une différence infime, suffisante pour qu’il en remarquât l’étrangeté, il admettait qu’en cette dérive au travers des hangars, entre les troncs et les fossés, sur la berge courbe des étangs, sous les racines arrachées, il n’avait pas emprunté non plus exactement les voies qu’alors il croyait prendre.
Depuis longtemps, sans trop de crainte, il avait dépassé l’ancien petit cimetière. Tombes à peine repérables où chaque croix était descellée bercée par un arbuste, thuya, genévrier, cyprès ou églantier. Il suivait le contre-pied du froid qui s’était approché le long des douces prairies jusqu’à geler les abreuvoirs et tapisser les jardins de neige. Lui, remontait les traces du vent sur l’étendue, il se dirigeait vers les éboulis en forêt, où les sources seraient marquées par l’hésitation des chevreuils, où tous les vieux nids pourraient être le gîte d’une martre.
Jean-Loup Trassard, L’ancolie
Au plus près du vent

Ce jour là, elle avait la peau moite, sa voix contenait d’innombrables odeurs, son regard était, légèrement voilé mais tout de même pleins de chants
Il transpire encore ce jour
Tu vois la marche, c’est comme dans un bateau: tu choisis l’allure, même quand il y a pétole, t’avances, comme quand tu t’assois au bord de la route pour expirer, faut juste garder un œil sur la girouette de tes désirs
il vient de là, le vent
puis y’a plus qu’à , rien que du temps à perdre
L’inclinaison
Il se levait avec le soleil
l’accompagnait dans son coucher
c’était des pas voués à l’éternel
qui oubliaient leur finitude
de quoi parlez-vous ? qu’il dirait
aussi immobile que peut le paraître un ciel
sur le muret, le souffle chaud d’entre ses lèvres
se liait à celui du vent qui chevauchait la lande
orangée, l’étreinte était toujours de patience
et ses mains belles comme terre sèche
à taire la soif
Près des gerçures

Nymphose – Lichen n°79
Nymphose (déjà publié sur ce blog) est paru dans le Lichen de décembre ! Grâce au travail passionné d’Élisée Bec.
Nymphose — les sens prennent conscience malgré nous puis la machine se met en marche, on pense on se rappelle on se blottit contre on veut s’en défaire — c’est vrai que nous sommes plantes épanouies à boire lumière, nostalgiques à boire l’eau du souvenir. Nymphose — la lente ondulation créative — le balancement : ce qui pourrait être, ce qui ne sera pas — contorsionne-toi vas-y t’as beau créer, ton dos, ton dos seuls les autres et le miroir que tu ajustes, le voient — ta voix ce n’est pas à toi qu’elle parle, ni vers toi qu’elle revient — tu couches dans ton lit mille visages inconnus mille odeurs mille colères — Toi aussi, tu es ailleurs — alors tu pars te chercher — en créant c’est toujours d’abord à soi que l’on tend la main. L’artiste n’a rien d’un philanthrope — Une revanche, c’est tout — On arrache la peau brûlée par le soleil, on pèle le mot jusqu’à l’égarement — jusqu’au noyau jusqu’à l’os contre lequel on cogne dur — ta peau te revient « renouvelée » comme un reproche.
Mue imaginale : trop tardive, déjà mort en devenir.
L’impossible imago.
Partir, en cherchant un dernier œil qui retiendrait ton désir.
L’anthropocentrisme

Et si un Homme était sur la photo, la nature leur paraîtrait-elle moins morte ? Le temps, vulnérable ? La fumée brûlerait les yeux, chatouillerait les narines, là, si deux personnes marchaient sur cette route, le paysage s’agiterait, ceux qui regardent pourraient y projeter un sentiment, s’identifier, se mettre en scène. Ça peut bien brûler, rien ne brûle si ça n’atteint l’ego.
L’odeur du pain grillé
Quelques bruits timides
les gestes sont lents, encore happés
par la nuit
Là, le banal s’installe
des mots, souvent les mêmes
certains racontent leurs rêves, d’autres se querellent
car comme chaque matin, elle n’a pas faim
le petit a fait un cauchemar, du beurre
il n’y a plus de beurre
À l’éveil chacun est encore tout entier à lui-même
le banal tend son sein :
boire le lait au pis de la vache
se baigner nu dans la rivière
Le banal croit-on
loin de ceux que l’on aime, on repense à ces mots
on les cueille avec nostalgie comme d’insignifiantes fleurs
sauvages dans un temps en jachère, aussi précieux
que la rosée, vers laquelle on tend la langue du souvenir
Le banal n’a rien d’ordinaire
car qui peut prévoir que demain
nous verrons ensemble le soleil se hisser?
plongé dans le noir, on y voit toujours mieux dans sa tête
Voyez-vous, rien n’est ordinaire
ni même l’odeur du pain grillé
où l’on se niche, au chaud
comme sur le ventre d’une mère
nul besoin de savoir dire
(je t’aime)
« Du beurre,
il n’y a plus de beurre
tu ne finis pas ton café? »
L’isolement, Alphonse de Lamartine

Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s’enfonce en un lointain obscur ;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l’étoile du soir se lève dans l’azur.
Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l’horizon.
Cependant, s’élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs :
Le voyageur s’arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N’éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu’une ombre errante
Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : « Nulle part le bonheur ne m’attend. »
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !
Que le tour du soleil ou commence ou s’achève,
D’un œil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu’il se couche ou se lève,
Qu’importe le soleil ? je n’attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu’il éclaire ;
Je ne demande rien à l’immense univers.
Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d’autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j’ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !
Là, je m’enivrerais à la source où j’aspire ;
Là, je retrouverais et l’espoir et l’amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n’a pas de nom au terrestre séjour !
Que ne puîs-je, porté sur le char de l’Aurore,
Vague objet de mes vœux, m’élancer jusqu’à toi !
Sur la terre d’exil pourquoi resté-je encore ?
Il n’est rien de commun entre la terre et moi.
Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s’élève et l’arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques
Entre les tombes, le remous des vagues
Les villas avaient été construites au plus près de la mer, en bord de falaise, empêchant tout promeneur de poursuivre le sentier des douaniers. Il nous fallut pour continuer notre balade contourner l’obstacle et gravir sous le cagnard une centaine de marches. Nous nous sommes alors retrouvés dans un funèbre quartier à traverser. Pas une voix, pas un chant ne s’y hasardaient, tout semblait être figé dans un silence macabre comme ces hauts murs protégeant les demeures et qui semblaient arrêter tout élan de vie. Je pensai soudain aux poussiéreux et imposants caveaux de famille qu’abritent ces grands cimetières bourgeois. En retrouvant le chahut des vagues, le vent galopant sur la côte abrupte, je souris en pensant à l’inscription : concession à perpétuité. Cette obsession de la propriété gravée dans le marbre, cette dernière volonté de ne pas être déchu socialement même après la mort, étaient foulés par nos pas enfin soulagés de rejoindre l’horizon. Ces gens avaient beau avoir fenêtre sur mer toute leur personne resterait aussi impénétrable que la pierre qui leur servait d’armure et de prison. Froide la peau le cœur battant, froide la peau le cœur cédant. Sous terre encore les spasmes, les râles, la peur du carré des indigents. Dans sa forteresse, le repos troublé. Mais dans ces cimetières pensais-je, la nature ne leur en tient pas rigueur, il y a des tombes verdoyantes et entre elles si l’on écoute bien, le remous des vagues à chaque renards qui se reproduisent et mésange qui détale. Il y a l’impermanence des choses et de notre regard, la beauté qui se montre, d’autant plus miraculeuse.
Un zeste de nuit

La renoncule des glaciers
Tu voudrais ta tête légère et silencieuse
qu’on y saupoudre des flocons, avec les doigts
comme le tracé d’une écriture
du blanc à perte de vue que tu créerais comme ça
avec les doigts et la neige dans ta tête
et les pas qui crépitent d’avance
te font jouir
Dans son oubli, ton corps torrentueux, s’est liquéfié
grâce aussi, souffle le paysage, à la renoncule des glaciers
qui croît sur l’étage nival
au dessus de l’écume des nuages
où le front lumineux d’un lichen s’acharne
à régénérer ton esprit vagabond
entre deux roches
à chuter en cascades fécondes et invisibles
Et ce vent qui éclabousse la voix d’un promeneur
les écrits restent qu’il dit tout en montrant du doigt
surpris, le cirque à l’écoulement tarit
il y aura les photos pour se souvenir, les cartes postales
sur quelques portants rouillés qui diront tout va bien
et tes lèvres violacées brûlées vives
épanouies sous cette tempête de neige que personne n’a vu
tes lèvres qui ont retenu si longtemps et si fort
les battants de leurs fenêtres
redeviennent, en les refermant, blanches comme neige absente
dans la masse des vitres d’un immeuble que la nuit a allumé
de nouveau impuissantes
face à la pierre tombale de leur solitude
La songeuse
Restait la songeuse
la songeuse et ses méandres
son apesanteur
un
goutte à goutte dans le temps
belle évanescente, tendez-moi encore vos mains gantées de satin blanc
étourdissez-moi de votre souffle langoureux
je me veux aussi songeuse que vous
éperdument trouble et silencieuse

*Photo exposée en octobre 2020 à l’EHESS.
L’infranchissable beauté
Oblique, la lumière
qui pénètre ton corps
oblique la lame, qui en ressort
L’éternel recommencement comme un os
à ronger
que tu ronges en délaissant la peau
de celui attrapé au hasard de ta colère
La lame ressemblait à une lance portée par les affres
de la mort
Tout a commencé avant, tout commence après
tout commence toujours
mais le cordon ombilical qui relie l’Homme
à la pierre, au chêne, à l’aigle
rompu
rompu par paresse de ceux qui se hâtent
Pourtant, tu n’es ni fin
ni fini,
ta mémoire n’est pas à la hauteur de celle
de l’olivier millénaire
mais tu peux la lui tendre du bout des yeux
tu n’as fait qu’égarer le fil
Paraît qu’aucun crie ne résonne dans le cosmos
qu’à défaut de voir plus loin, ils tournent en rond ici
suivant la courbe de leurs nombrils
dévorant leur propre matière tonitruante
L’éternel recommencement comme un os
à ronger ou suivre la corde
l’odeur de la grotte
son cours d’eau, ses voix rocheuses
sa voûte céleste
que les anciens ont craint et vénéré
guettant, fêtant la moisson
reconnaissants pour cela
il y avait cette distance respectueuse
le savoir sans savoirs, le savoir enseigné par les cieux
les mains dans la terre
les voix mirifiques qui content au coin du feu
les éléments déchaînés par les lèvres fiévreuses
Une âme s’élève devant cette montagne à l’allure de muraille
la gravir sans y mettre le pied
il y avait cette distance respectueuse
l’orgasme rien qu’au toucher de l’imagination
regarder les étoiles, rêver
qu’y a-t-il derrière ?
rêver à ce qui ressemble
à l’infinitude de l’ignorance et du désir
regarder la montagne, rêver
à l’infranchissable beauté
Nos immensités
Il existe un pays comme un corps comme une mer aussi vaste que nos yeux rêveurs aussi caressant que ta main et nos deux navires battants qui s’élancent toujours trop vite toujours trop lents et ignorants à l’assaut des frontières. Qu’il est fou ce pays qui nous perd et nous happe dans ses horizons il mériterait bien qu’on y noie prudence et soumission
Viens
Va
Va
Le nichoir vide
Parfois un poème s’accroche à une branche
bout de tissus faisant signe dans le vent
comme étendard d’une cause qui se chante
Il suffit de lever les yeux pour commencer
piaille sur l’avenue, en sentinelle
un moineau
sans les siens
Un coup d’œil,
quelques miettes jetées à la beauté
ou le nichoir restera vide
et l’arbre, un écueil
L’Hérétique I
Revers
Ils se moquent bien des vieux
ça ne leur arrivera pas, pourtant
ils ne semblent pas vivre comme des gens
que la mort obsède, ceux-là
ont le visage gravé d’ombrage
Eux, veulent juste croire en la jeunesse éternelle
et les vieux meurent toujours
aussi jeunes de solitude
Croître
Pain perdu
Il y avait ce sein pâle
niché dans le cadran d’une fenêtre
la fumée d’une cigarette
répandant la fièvre des lèvres
depuis le 6e étage
et la sixième heure du jour
brouillée par des volutes de pensées
sombres et légères
remontant des paupières grisées
Il y avait le frottement du biseau sur le pavé
les gestes lents du balayeur qui
dans le silence que répand
le jour candide ou désenchanté
selon l’équilibre des marcheurs
prélevaient – recomposaient poil par poil
les voix de la veille jetées, perdues, piétinées
errant ici et là en pièces détachées
– ticket sous des éclats de verres
pour un retour express en banlieue –
perles d’un bracelet rompu –
pétales de rose vendue à la sauvette
mâchées puis recrachées exhalant l’alcool
et l’amour décousu des nuits pailletées –
visages d’une photo dont les miettes
se mêlaient aux feuilles d’automnes
vénérées ou foulées
selon la vitesse des Hommes
Il faut de tout pour faire un poème
le puant, le rance, le laid
ce qu’on repousse puis qu’on redemande
Pain perdu pour ventres creux ou ronds
marmonnaient des mains d’or
soulevant une pelle vers le ciel
comme un dernier tintement
Fers
Je n’écris pas pour dire mes chaînes
mais pour que le mot incorpore le fer
pour que la voix y retentisse et habite
pleinement, ce qui nous terrifie
Sur les pas d’un Menhir
Des oiseaux de mer tournoient autour d’une nuque, menhir décharné proie aux coups de becs et de griffes qui tireront du sommeil les ardeurs de l’enfance, les désirs aventureux, les soifs effrénées. Venez survoler le boulevard où s’affairent les ossuaires que couvent les regards des marionnettes qui ont la ficelle dure. Ne pas s’en faire pour le sang qui coule de l’autre côté de l’écran, de mon mur, celui où l’on évite de faire patauger ses yeux, répètent les simulacres du bonheur croisés, frôlés à la hâte. Elle pourrait leur dire à force d’observations les mots qui errent dans la pénombre de leur visage et font de lui un masque, la texture de leur voix, rugueuse, empruntée à d’autres. Cette nuque qui maintenant avance vers le phare dessine un mat qui perce la brume alanguie sur la butte Montmartre où les amoureux rêvent et s’entravent les mains. Les bêtes crient et tracent en fendant l’air une marelle de fortune qui estompe la solitude d’une nuque maintenant fièrement dressée, seul désir apparant qui se distingue de la masse, une nuque qui s’est énamourée du vent du large, de ses morsures iodées, prête à tout. La grand-voile s’est hissée dès les premiers essais de langage il fallut tracer sa route tout en traçant des lettres sur le tableau à craie, ne pas rire en chœur la gorge en entonnoir qui ne sait plus laquelle d’entre toutes est sa voix. Une plaie vive et chaude ondule dans un sillage d’harmonica, soufflé par un bonhomme sans-le-sou assis sur les marches qu’une grande veste dissimule. Il convoque marins pêcheurs faucheurs de blés, fronts suants dos voûtés – voyages forcés arrimés au destin mais ceux-là n’ont pas la ficelle dure qu’il dit le blues qui ravive toujours plus le vent du large qui étreint la nuque assise tout près, prise de vertiges. La mer, parlez-lui de la destinée, des Hommes qui la combattent et tentent d’y échapper. Elle vous dira qu’elle n’est qu’un passage. L’artère coronaire qui est la condition pour rester en vie. Au plus près de l’engloutissement.
Voix souterraines

Quand finira la nuit ?
S’il suffisait comme cette plante
de se gorger d’eau et de lumière
puis d’attendre
mais la nuit, qui rampe et vous assiège
répand son écho assourdissant
Une sentinelle fait les cent pas
quand les veines atrophient
étranglent
les sources bouillonnantes de désirs
Utopie n’est pas vain mot
n’est pas chimère, ni illusion
avez-vous une fois tenu l’amour dans vos poitrines?
Un monde sans amour, c’est l’enfer
il n’y aura d’utopie sans colère, sans délivrance
une sentinelle fait les cents pas
Quand finira la nuit ?
Pittoresque
Photo présente à mon exposition Énigme du désir.
La belle déferlante
Le vide a bougé
j’ai vu la vague
s’y abattre, aussi
rugissante que
la chair qu’elle tenait
entre ses dents
Belle créature saline
qui romps les battants
de l’inertie, tu sais
comme l’on se noie
dans les déserts désirs
des villes, je vais
visage nu, gorge nue
hanches nues que la houle
balance, élance
et mes yeux sanglants
tiennent le soleil
pour y jeter l’écho
d’un moi naviguant
au large depuis
la naissance
d’après ma mort
Pourtant
celle qui marche
seule, nue
t’étreint, te fais
rouler dans sa poitrine
comme tu vas, viens
glisses sous les doigts de
la lune, fidèle à ta liberté
ne gardant rien en
ton sein, que l’ardeur
sais-tu qu’elle t’est si dévouée
qu’un vide, un vide ne sera
jamais assez grand
pour vaincre
ta belle déferlante
Je navigue,
je navigue au loin
ici, en poésie
où ma prose
cherche ton sein
Le sentier
Il va nu le sentier
Le corps ombré de nos errances
The Devil’s Baptizin – Malvina Reynolds
Tanger, la modeste




On voyage, on se désamarre
Il nous faut aller les yeux bandés
par les paumes moites des saisons passées
la mémoire en est pleine, pleine de ces odeurs
que tu ne sentirais en renversant mon corps
Des rails s’oublient dans la brume
aucune échappatoire, aucune fuite vers l’à-venir
magnifions l’instant dirais-je joliment,
les yeux
toujours bandés
demain n’a rien prévu pour nous qui n’aimons
qu’errer, nous embrumer le corps et l’âme
par tous les pores, embrumer le temps pourvu
qu’il semble s’arrêter, c’est pourquoi on rêve toujours
de ce train à la destination inconnue
Non
ce que l’on veut
ce que l’on voudrait c’est ne pas savoir vers où
nous portent ces pas, ces heures, ces nuits
ces longues files d’attentes de désirs, de regrets
on voudrait ne pas savoir
alors on feint de ne pas craindre demain
d’aduler l’ignorance
on voyage – on se désamarre
en sautant dans des trains qui pourtant n’écrivent
qu’une chute, désaccordée du cœur
que joue la mélodie de l’abîme
sur tous les fronts et les mains qui veulent encore saisir
Des rails s’oublient dans la brume
voyager – prendre un train : un mouvement qui provoque l’arrêt
être au-dehors
du dedans
on a tant l’habitude de cet autre wagon qu’on ne sent plus
qui nous berce depuis
le premier cri
Face aux rails qui s’estompent dans la voie lactée
je sens deux mains : les miennes
se poser sur mes yeux
je sens un pied aller maladroitement, au devant de l’autre
comme vont ceux des bambins
on sait à peine marcher que déjà.
et toi, qui regarde tendrement les étoiles
dis, où vas-tu ?
Ô ! Chante-le, chante-le encore !
regarde-moi
Poète
Naïades
Ces photos ont été exposées, la première, vendue, vit maintenant au Luxembourg.
Le Secret op.23 n°23 – Gabriel Fauré – (Marion Rampal/Pierre-François Blanchard)
Poème d’Armand Silvestre
Etude Op.25 No.11

La rivière est suave
Ma pierre à l’édifice pour le 100e numéro de la revue Traction-brabant menée par Patrice Maltaverne qui depuis 18 ans a le coeur à l’ouvrage ! Une revue non conforme qui laisse place aux voix dissonantes où chacun invente réellement son propre langage poétique. Une rareté qui peut me compter parmi ses fidèles.
La rivière est suave, la mélancolie douce. Pourquoi fait-il si sombre tout autour de ce cercle lumineux ? Le printemps qui approche nonchalamment semble piétiner tous les cris, toutes les attentes. Il bleuit ma peau. Il faudrait se boucher les narines comme on ferme les yeux pour ne pas sentir toutes les promesses saisonnières passées remonter le courant de la mémoire suivant le parfum d’une fleur qui éclot. D’ailleurs, je reste un instant perplexe devant cette petite fleur jaune et blanche dont la couronne paraît s’exclamer mais contenir ses mots, elle ne dépasse pas ma cheville mais ouvre en moi un tel abîme. Qu’a-t-elle de si dérangeant ? L’automne. Elle me rappelle l’automne qui rassure et donne à vivre l’impossible : partir de la disparition, de la mort avec lui si chatoyante pour marcher vers la renaissance. Le temps de ce voyage à contre-courant c’est le désir qui nous tient, nous sommes les grands inventeurs des bourgeons et des couleurs. La nature est mise à nue et vulnérable, nous aussi. Les arbres s’effeuillent, l’espace se vide, chacun doit créer son feu. De joie. Le printemps vous dépossède, ravit sans crier gare la douce et consolante mélancolie car l’on se plaît à caresser, à attendre ce qui n’est plus. Le printemps muselle et ne laisse aucune place aux nuances de l’âme, il dissimule dans ses chants vifs la corde d’un instrument, rompue et n’est qu’injonction à revêtir ses plus belles parures, ses plus beaux sourires, ses plus belles jambes et les plus ivres parfums.
Il rêve pour vous.
Ständchen

Sur la Marne indocile le soleil s’amusait à faire ricocher des étoiles, j’ai flâné au bord de cette voie lactée où soudain, un ange, sa majesté le Cygne a glissé tout scintillant. Cette image, c’est comme une musique. J’ai continué tenant les notes dans mes poings, attendant qu’il revienne mais, peu à peu les étoiles s’évanouirent, les arbres décharnés ont semblé rendre l’âme. J’ai eu froid. Me penchant sur l’eau brune j’ai cherché ta lumière, à voix basse j’ai dit ton nom, alors le chant du cygne retentit, mes mains s’ouvrirent. J’ai glissé. Dans un clair de lune nous s’est noyé.
Une mélodie devient ondes concentriques.
Ô monstres éoliens !
Dis, on retournera le long de la côte sauvage
à Batz, là ou tu voulais tant vieillir ?
Il est venu s’asseoir devant la ligne de fuite
prendre une bouffée d’évasion
mais voilà qu’à présent son regard
doit sillonner entre des monstres blancs
cherche à recomposer la ligne de fuite
rompue – défigurée
défigurée la beauté qui ne demandait rien en échange
qu’un peu de patience
le temps de glisser sur la nuque quelques frissons
venus sous les doigts d’une surprenante brise
Achevé son espace vitale
Ici aussi des amarres retiennent ses désirs
Ici encore : se battre
Mouliné – Broyé
ce qu’il lui restait d’énergie, son échappée
qu’a-t-elle d’utile ta santé mentale ?
un de plus – un de moins – paraît qu’on est trop
Plus il regarde la mer et plus ça tourne ferme
dans son ventre, c’est la nausée qui lui vient
ce n’est pas qu’il se sent petit
ce n’est pas ça
c’est qu’il se sent piégé par la fureur du chasseur
dont les coups taisent le sublime chahut des vagues
et retentissent jusqu’au ciel
où tourne, tourne les éoliennes
Dis, on retournera le long de la côte sauvage
à Batz, là ou tu voulais tant vieillir ?
Waterboy – Odetta
Dans sa gorge
Boulevard des voyages
Quand une femme élégante et apprêtée vient à ma rencontre, je pressens souvent le dernier nœud en velours noué à son cou autour duquel je m’apprête à me suspendre. Je hume à pleins poumons ce voyage impromptu et fugace qui me frôle et son étrange fragrance dessine comme les notes d’une musique, un paysage ineffable qui change un instant le cours de ma marche.
Erlkönig – Franz Schubert – Goethe
