Tailleurs de pierres
Le silence parle quand la lumière troue l’obscurité
Ma voix est persiennes
Les mots : on n’a pas assez le vertige devant
tu ne recules pas suffisamment d’effroi
quand je te parle
Mais mon regard et ses ombres
quand des fantômes dansent dans ma tête
au rythme des Ondes Martenot
La pierre de sang se hisse dans le ciel
Pose le chaud de tes lèvres sur ma nuque
et son collier de lune
Nous devenons tailleurs de pierres
Fusain en cours d’écriture…
Nuits d’absence – Léo Ferré – Jean-Roger Caussimon
L’amour, sans une aile / L’amore, senza un’ala
Par ici la chronique de Patrice Maltaverne au sujet de mon court recueil L’amour, sans une aile ! Un grand merci à lui !
L’uomo aquilone
Lo sguardo portato da un filo
all’estremità del quale ballavano
qua e là
i colori di una libertà
abortita dell’alba
di sogni tagliati nelle
vene dell’infanzia
A vederlo avanzare con passo
ondeggiante, la bocca
che inghiottiva il cielo
abitato da una
strana foga
urtando i passanti
perché il vento, il vento
cambiava rapidamente
ci si chiedeva chi
dell’uomo o dell’aquilone
mantenesse l’altro
vivo
Maintenant elles te regardent
– elles t’acculent à les rejoindre
Marina, Anna, Alejandra, Ingebord
Tu ne peux restée plus longtemps retranchée
Un pied, puis deux
le troisième s’enlise dans le poème
Une vertige incessant
Une chute qui poursuit son chant
depuis que tu as sauté des remparts d’un ciel nuageux
où tu avais trouvé asile
Ta folie est une île déserte où trône un grand édifice venteux
c’est la mort que tu protèges
Ici c’est ta façon à toi d’avoir des ailes
les ailes cristallines d’une libellule
Oh regarde Nastya, viens vite ! Regarde quelle force ont toutes ces fourmis pour transporter ce géant mort vers leur dîner !
C’est maintenant un jeu
tu rajoutes autant de sable qu’il faut
pour repousser ses limites
et traces sur ses grains chauds des voies amies
Le soir venu, les eaux vives qui les bordent
scintillent : plonger dedans détruirait l’illusion
Il n’y a que les pierres qui disent vrai
Ca-ssé le sa-blier
Ca-ssé le sa-blier
avec ta pelle de mots ombreux, fragiles comme ces châteaux de sable
qui s’affaissent quand la lune s’élève et que l’engoulevent
appelle une dulcinée
Marina, Anna, Alejandra, Ingebord
Un pied, puis deux glissent
le troisième reste dans le poème
Un poème d’Alejandra Pizarnik
le centre
d’un poème
c’est un autre poème
le centre du centre
c’est l’absence
au centre de l’absence
mon ombre est le centre
du centre du poème
Alejandra Pizarnik, Textes d’ombre
Elle n’est pas haute la distance qui va de ton regard
au sol
le vertige est sans fond,
sans fondement
Il fait la taille de ta nuque
de ton buste
de tes jambes
la taille d’une respiration
d’une odeur, d’un souvenir
à déglutir
Il fait surtout la taille de ta voix insondable
qui renonce
Elle n’est pas haute la distance qui va de ton regard
au sol
bruissent, menaçantes, les marches que tu descends
faisant attention à la pile d’assiettes que tu tiens
Mais tu es dans la brèche de Roland et ses neiges éternelles
tu vas sur la crête boueuse des monts d’Arrée
Elle n’est pas haute la distance qui va de ton regard
au sol
suffisante pour la chute
une avalanche
un éboulement
un corps qui dit qu’elle est toujours trop haute
la distance qui va de son silence
au sol
Les mots qu’il ne trouve pas
s’articuleraient,
là
à terre
un filet d’air et de sang s’écoulant de la gorge
et les pierres déposées sur la voix
glisseraient
jusqu’aux yeux
Tu savais le gouffre dessous
dissimulé
sous la peau
En amont, un ailleurs
Il y avait le courant rapide
le saule penché au dessus de la Marne
son tronc cabossé et cette branche
tout près de l’eau trouble
à se tendre pour la pensée qui émergerait des flots
être là – sois là – attrape !
Il y eut soudain le besoin d’enfoncer le front dans cette écorce
le regard qui se laissa couler vers les cris de la Bernache
puis s’éleva du côté d’ un impénétrable ciel bleu
un bleu méprisant et hautain, sans un nuage
un bleu qui ne voulait pas te comprendre
Comment le cogner celui-là ?
Il y eut un éclair : écrire !
la seule puissance de l’encre et du muret où elle s’assit
La sonnerie de Sainte-Geneviève du Mont de Paris – Marin Marais – Jordi Savall
Une lettre pour mon amie Francette
Tandis que le café embaume la petite cuisine.
Ma poésie dans la revue Nouveaux Délits
Le n°78 de la revue Nouveaux Délits orchestrée par Cathy Garcia Canalès vient tout fraîchement de paraître.
Vous y découvrirez une dizaine de mes poèmes aux côtés des très belles illustrations d’Alissa Thor. Pour le commander c’est ici.
Et pour vous mettre l’eau à la bouche, en voici deux…
L’épiaison
Le vieillard a le regard qui gîte de part et d’autre du temps
sur son front, une houle d’odeur fait le pont
entre le visible et ce qui se meut sous ses rides
Il ne veut rien saisir, l’heure est à se laisser louvoyer
dans l’indicible, dans l’impuissance
Tandis que la cloche de 19h sonne l’alanguissement de la lumière
dans le ciel que tait la grive musicienne
entre ses mains arrimées, exhale le précieux viatique
et le vent qui décoiffe la plaine dément qu’elle serait immobile
et désertée, d’ailleurs
l’épiaison célèbre en bruissant une nuque que la nuit peu à peu, ploie
Un banc sans corps, reste habité
parole de pierres d’un vieux cloché
À perdre haleine
Les lèvres se grisent de rosée
mais à mesure que le sourire s’épanouit
les pétales se fanent, le cœur comme les saules
Pleureurs, penche sa nuit, tout est à naître
tout est à mourir dans un même mouvement
Volonté est un vain mot, un mot qui va comme
on s’enlise dans les sables mouvants
Les prairies d’émeraude et la pluie ne font qu’un
le renard peut courir sa proie dans la gueule
le chasseur le rattrapera bien
Méandres du jeu
Tu déguises le crime, maquilles ta peau
sous l’eau savonneuse
les effluves qui arrivent jusqu’à lui
exhalent, nébuleux, des remords échaudés
Le parfum de l’oubli agite sa langoureuse
blancheur – le silence est linceul
mais la nuit
la nuit
et son vent givré
qui recouvre l’étroit plafond de la chambre
Tes pupilles s’agenouillent, il te prend par les siennnes
C’est un torrent noir qui se déverse sur les draps
Et vous mimez – n’est-ce pas du jeu ?
un autre crime
Déferlement
De la grisaille me vint, la chaleur d’un désir
Le clapotement des ailes contre le vent
Parution de L’amour, sans une aile aux Éditions RAZ
Camarades Poètes, vous pouvez dès à présent commander L’amour, sans une aile qui paraîtra bientôt aux éditions RAZ !
La collection RAZ FRA/ITA est une collection franco-italienne qui regroupe des livres courts d’auteurs français et italiens traduits dans les deux langues.
Directeur de la collection : Philémon Le Guyader.
Traductrice : Auriane Sturbois.
Livres : L’amour, sans une aile / L’amor senza un’ala de Marine Giangregorio (FRA). Murmures / Sussurri de Chiara Mutti (ITA). Des hommes et des villes / Uomini e città de Grégory Rateau (FRA). Crise et Parole / Crisi e parola de Raffaello Utzeri (ITA).
Merci à Philémon Le Guyader et à Auriane Sturbois pour leur travail acharné !
Salut Maurice !
Schumann : Piano Concerto in A Minor, Op. 54 – Maurizio Pollini – Claudio Abbado
Ma nouvelle (un peu loufoque) : Madame Lampal (avec une illustration d’Eric Demelis)
La vieille dame en se débattant fit tomber le portrait posé au-dessus de la cheminée. Le visage de son mari s’écailla. Bon sang, pas les menottes ! elle n’avait tué personne et même si elle l’avait découpé ce morceau de cadavre, il n’y avait pas mort d’homme, enfin, elle n’était pas responsable de la mort de celui qui fut un moment le sien. Pourquoi lui infliger une telle humiliation ? Un samedi, jour de marché où les gens affluaient de tous les villages voisins ! D’ailleurs c’est sur sa rue, la rue du Fossé dit Le Trou au Chat que les habitués commençaient à se garer puis à ouvrir la cérémonie des salutations. Mais aujourd’hui, les passants attirés par la fourgonnette des gendarmes s’étaient attroupés sous l’unique fenêtre de la maison de la sexagénaire. Voilà déjà dix ans que le couple s’était offert cette abri modeste de plain pied. Juliette avait été femme de ménage et Roger peintre en bâtiment. Ils avaient quitté l’étroit HLM de la région parisienne pour avoir enfin un bout de terrain où cultiver leur rêve : un potager. La maison ne ressemblait à aucune autre, on pouvait la reconnaître de loin par les contours orangés de ses fenêtres et les murs vert sauge assortis aux tons de la végétation anarchique qui l’assiégéait. Ce bien, ils avaient pu l’acquérir grâce à l’héritage de la grand-tante Louison qu’ils avaient remercié en portant sur sa tombe, à Nice, une rose blanche. Sur la pierre froide ils virent pour la première fois son visage. Dans la famille on disait qu’elle avait fait la noce ce qui rendait sa nièce Juliette, fière, elle qui parlait souvent de cette femme fantasque arborant d’énormes chapeaux comme d’une grande artiste, une chanteuse au timbre envoûtant à la vie dissolue et peu importe la manière dont elle avait vécu, elle avait été une femme libre de ses choix. La nuit même de l’emménagement, Roger avait consciencieusement peint à la lampe frontale le portail où flottaient de fines marguerites jaunes et blanches. Ce qui leur avait valu la toute première visite des gendarme,s appelés par un voisin soucieux de la tranquillité du quartier et qui, voyant une petite lumière se balader devant la maison, avait tout naturellement cru à un cambriolage. Roger n’était pas du genre à se laisser faire, après avoir prouvé son innocence en brandissant le titre de propriété rangé dans le tiroir du vaisselier, il avait gentiment poursuivi son affaire jugeant qu’il ne gênait personne et qu’on n’allait pas commencer à l’emmerder. C’est au petit jour que Juliette avait retrouvé son grand bonhomme endormi, recroquevillé sur le muret, un pinceau sous sa joue droite, un autre sous la tête. Elle le prit par la main et le conduisit à la salle de bain pour lui couper les cheveux. Il les aurait bien gardés ces mèches colorées, au moins une bonne raison de faire jacter. Ils avaient bien ri ce matin de mai dans la douceur du chant mélodieux d’une grive musicienne.
12h30, En plein cagnard, les paniers dans les mains sont toujours vides mais les bouches se gavent de ragots, tour à tour on mise : elle l’a intoxiqué avec un yaourt de chèvre avarié, coincé les testicules dans une porte, étouffé avec une arête de congre, peut-être même, électrocuté pendant sa sieste avec le chauffe matelas. Ça alors ! on ne s’y attendait pas, une dame si discrète toujours prête à aider mais c’est souvent comme ça les psychopathes sont des manipulateurs dit une voix à peine audible qui serpentait le long des oreilles mais, comment s’y était-elle prise, une femme si frêle et menue s’égosilla une autre, les pires qu’on croirait pas plus robuste que nous toutes insista une dernière en crachant ses poumons avec le dernier mot.
Les gendarmes avaient fait asseoir la petite dame Lampal qui sanglotait, ses mains menottées l’empêchaient de se moucher, l’un d’eux lui donna à boire mais les spasmes causés par les pleurs firent que l’eau se renversa sur son beau chemisier en coton fleuri qu’elle avait mis pour l’occasion, s’apprêtant à parcourir les rues bordées des stands de producteurs locaux, le panier fin prêt sur le pas de la porte. Son deuil, elle ne le portait pas sur ses vêtements ce qui avait été suffisant pour faire d’elle une coupable. Pensez-vous ! Une femme qui mettait des jupes fushia et des foulards orange, comment pouvait-elle sincèrement pleurer son mari tout frais défunt ? Mais Juliette comme Roger avait toujours détesté le noir il y en avait suffisamment dans les rues et les jours sans pain pour qu’on en rajoute. Si Juliette avait fait vœu d’être incinérée, Roger, lui, préférait « donner un peu d’engrais à la Terre », il avait donc soigneusement choisi et préparé un beau smoking pour le jour du grand départ. Ce serait le jaune mimosa acheté sur les marchés aux puces où le couple la trentaine florissant avait aimé chiner.
Juliette fixait au sol la photo sous le verre cassé : un petit garçon de 8 ans pose fièrement tenant son vélo sur un parking à l’orée d’un bois. Son père est derrière l’objectif, il vient de lui apprendre à rouler tout seul en deux roues. Cette même année, ses parents disparaîtront dans un accident de voiture. Dès lors, cette photo ne quittera plus Roger. Les gendarmes, deux jumeaux débutants au teint pâle, aux silhouettes longilignes légèrement courbées qu’étroits uniformes comprimaient, se tenaient chacun d’un côté et de l’autre de la vieille. Embarrassés, ils mettaient les mains tour à tour dans le dos, le long des cuisses, devant la bouche comme pour étouffer une toux puis réprimer un bâillement, ils regardèrent sans bien comprendre le portrait de l’enfant puis se lancèrent quelques hochement de têtes comme injonctions à agir. Après une interminable hésitation, l’un d’eux se décida : « Et…votre fils, il est au courant ? Parce que nous on l’a pas prévenu, on l’a pas trouvé. » Le crâne de madame Lampal émergea du sol comme une tête sort brusquement de l’eau, son sursaut se diffusa jusqu’aux deux gendarmes semblable à une décharge électrique, leurs visages parurent soudain souffrir de convulsions « Quel fils ? Évidemment que vous ne l’avez pas trouvé, de quel fils parlez-vous ? Il n’y en a pas ! Il n’y en a pas…! » dit-elle la voix flanchante. De grosses gouttes se mirent à tomber sur le canapé. Si grosses que Juliette les entendait se fendre comme vaguelettes sur cailloux. Les gendarmes tirèrent les cols de leurs vestes, secouèrent les épaules, froncèrent les sourcils en jetant un regard sur l’enfant photographié puis parcoururent le plafond en suivant rigoureusement les quatre coins dans un sens puis dans un autre, pour enfin retomber sur le regard vide et hagard de la vieille femme qui pouvait être capable de tout se dirent-ils les yeux écarquillés, la face de plus en plus empourprée. Le mari était bien mort d’une crise cardiaque ce soir d’avril, parole de médecin légiste mais il avait suffi d’une insigne de gendarme pour que les langues se délient et qu’au seuil de l’ennui les esprits devinrent si créatifs qu’ils imaginèrent mille et une histoires rivalisant avec les plus célèbres romans du siècle. Ce qui turlupinait les gendarmes ou plutôt leur hiérarchie, c’était ce bout de chair prélevé sur le mort. Madame Lampal qui avait découvert le corps de son mari était sans aucun doute la principale suspecte. Des traces de sang avaient été découvertes dans la maison. Un couteau identifié. Et le corps avait gardé des marques de mesures tracées rigoureusement. Le coup était prémédité. L’un des deux gendarmes rassembla tout son courage au grand étonnement de son compère, il sortit un papier de sa poche droite, le déplia et tout en le tenant de ses mains tremblantes, inspira, expira, inspira : « une atteinte à l’intégrité d’un cadavre est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amande alors pourquoi Madame Lampal avoir prélevé ce bout de peau sur le triceps gauche de votre mari ? » La tirade avait été expulsée d’une traite, sans une inflexion de voix sauf sur les trois derniers mots où les notes avaient comme chavirées, la voix devenant étrangère au fonctionnaire lui-même. La vieille dame leva lentement la tête, rouvrit les paupières tout aussi doucement, les narines et les yeux tout embués, elle prononça : Irène.
Lire la suite Ma nouvelle (un peu loufoque) : Madame Lampal (avec une illustration d’Eric Demelis)Pain perdu
Il y avait ce sein pâle
niché dans le cadran d’une fenêtre
la fumée d’une cigarette
répandant la fièvre des lèvres
depuis le 6e étage
et la sixième heure du jour
brouillée par des volutes de pensées
sombres et légères
remontant des paupières grisées
Il y avait le frottement du biseau sur le pavé
les gestes lents du balayeur qui
dans le silence que répand
le jour candide ou désenchanté
selon l’équilibre des marcheurs
prélevaient – recomposaient poil par poil
les voix de la veille jetées, perdues, piétinées
errant ici et là en pièces détachées
– ticket sous des éclats de verres
pour un retour express en banlieue –
perles d’un bracelet rompu –
pétales de rose vendue à la sauvette
mâchées puis recrachées exhalant l’alcool
et l’amour décousu des nuits pailletées –
visages d’une photo dont les miettes
se mêlaient aux feuilles d’automnes
vénérées ou foulées
selon la vitesse des Hommes
Il faut de tout pour faire un poème
le puant, le rance, le laid
ce qu’on repousse puis qu’on redemande
Pain perdu pour ventres creux ou ronds
marmonnaient des mains d’or
soulevant une pelle vers le ciel
comme un dernier tintement
Un poème dans la Revue hélas! n°7
Mon poème Jean Genet à Larache vient de paraître dans le nouveau numéro de la revue hélas! sur le thème Souvenirs d’ailleurs. Deux de mes photos l’accompagnent et de belles découvertes vous y attendent ! Merci à Matthieu Limosino pour son acharnement et son travail au service de la Poésie…
L’Hérétique
Le membre fantôme
Tandis que le chêne endolori
exhibe sa large plaie
je pense, le regard appuyé
contre sa blessure muette
et creuse
à l’amputation de l’artiste
qui ne cesse de redessiner sa
jambe absente, caressant
avec autant de douleur
que de plaisir
le membre Fantôme
un manque
le contour du vide
Naïades
Sans abdiquer
Il envie, il regrette ceux partis avant le coup
de grâce – les affranchis qui sont allés
jusqu’à abréger la dissonance du monde
Il envie, il regrette ceux partis avant les derniers
sacrements, qu’en vomissaient de rire crachaient
tout leur dégoût par des orbites désarmées et désaxées
Il envie, il regrette ceux partis après avoir accompli l’unique but
rendu l’ultime coup – enfin
la revanche – le soulagement – la revanche de ne plus rien devoir
d’être vengé comme elle dit – ne pas rester ne pas souffrir
ce monde plus longtemps – leur jeter l’œuvre à la face
Un dernier bras d’honneur à la platitude, aux morts vivants
à la putréfaction, au sacre de la morale et à la cécité
des conformistes – un dernier coup de canon dans le silence
crépusculaire où s’en est allée, suivie de personne
la caisse portée par le chant d’un merle – entendez
un dernier bras d’honneur – pas pour elle non puisque
l’utopie est ailleurs – lisez ma poésie
qu’il dit
vivre est ailleurs
Il envie, il regrette les titubations
les désordres du cœur
mais que l’on marche – marchez encore sur les morceaux de tessons
saignez saignez-vous les yeux sous leurs mots et leurs dents
puis essuyez-vous tout contre la beauté qui vous tend sa joue
jamais assez amochée
la bête
Dans sa gorge
Saveurs de juin
En cet après-midi de juin
la cerise noire répand son jus
sur les langues, les doigts, les lèvres
gourmandes, le vent désiré empoigne
les corps et de ses mains indiscrètes
sculpte, cuisses, seins, ventres
des femmes trahies par de amples habits
seules la brise et la sueur dégoulinant
sur nos chairs nous habillent, et pour peu que l’amour
s’en mêle, on se laisserait renverser par le soleil
le cou tendu comme un désert interdit
Pittoresque
L’intime
La pluie, sa part de lumière
et d’intime
qui dénude les visages
La gêne,
d’être par elle
cajolée
On la voudrait
pour soi
rien que pour soi
Dans une chambre
où il ne faudrait pas
En Arcadie
à Gustave Roud
En Arcadie, je te rejoins
tu bêches la solitude qui fait vent dans ta tête
Douce brise quand celui que tu aimes est à tes côtés
juste assez loin : il te faut un certain nombre de pas
pour sentir la latitude du regard trembler
au-dessus du sillage du corps de la bête, de l’Aimé
au-dessus de tes désirs allant d’une rive à l’autre des épis de blé
Juste assez loin pour ne pas céder à l’oubli que tricotent
des voix illusoires
Tu as conversé avec chaque pierre du petit cimetière
ainsi tu es,
de leur lent édifice
de leur abrupt visage
de leur grave silence
Le silence, c’est par sa vallée qui a creusé tes joues
que tu vas
et dans sa brèche
– que tu écris
Sous le vaste ciel : toit où va paître ta plume
l’enfant et le vieillard joignent la malice du vert
et le paisible automne
L’isolement, Alphonse de Lamartine
Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;
Il serpente, et s’enfonce en un lointain obscur ;
Là le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l’étoile du soir se lève dans l’azur.
Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.
Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,
Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;
Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l’horizon.
Cependant, s’élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs :
Le voyageur s’arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N’éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple la terre ainsi qu’une ombre errante
Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.
De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : « Nulle part le bonheur ne m’attend. »
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !
Que le tour du soleil ou commence ou s’achève,
D’un œil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu’il se couche ou se lève,
Qu’importe le soleil ? je n’attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts :
Je ne désire rien de tout ce qu’il éclaire ;
Je ne demande rien à l’immense univers.
Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d’autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j’ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !
Là, je m’enivrerais à la source où j’aspire ;
Là, je retrouverais et l’espoir et l’amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n’a pas de nom au terrestre séjour !
Que ne puîs-je, porté sur le char de l’Aurore,
Vague objet de mes vœux, m’élancer jusqu’à toi !
Sur la terre d’exil pourquoi resté-je encore ?
Il n’est rien de commun entre la terre et moi.
Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s’élève et l’arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
Méditations poétiques, Alphonse de Lamartine
Eaux vives, eaux troubles
Combien se sont penchés
au plus près de la rivière
à n’y boire que flou et fuite
dans l’eau claire dont je me détourne
Je crois qu’elle nous serait fidèle
Trouble
on y reste une vie
à traquer une forme
Paréidolie ou l’œil du bouc
Quand finira la nuit ?
S’il suffisait comme cette plante
de se gorger d’eau et de lumière
puis d’attendre
mais la nuit, qui rampe et vous assiège
répand son écho assourdissant
Une sentinelle fait les cent pas
quand les veines atrophient
étranglent
les sources bouillonnantes de désirs
Utopie n’est pas vain mot
n’est pas chimère, ni illusion
avez-vous une fois tenu l’amour dans vos poitrines?
Un monde sans amour, c’est l’enfer
il n’y aura d’utopie sans colère, sans délivrance
une sentinelle fait les cents pas
Quand finira la nuit ?
Croître
Le bel amour
La première fois qu’il vit Louisa, il l’écouta dans un coin du cercle sans ciller et tout en la tenant du regard il se dit, nous vieillirons ensemble. Maintenant qu’il découvrait cette vallée à la beauté inépuisable, ce même sentiment lui revint, il pensa c’est ici que je veux mourir dans la lente respiration des saisons, dans le déploiement de chacune qui va des premiers pas au dernier râle, sous le torse du vieux roc où s’ébattent la nuit venue, les astres, à l’ombre du chêne foudroyé près de sa poitrine ouverte où semble bruire des ailes et s’échapper des criaillements. Venir m’asseoir au crépuscule sur ce banc, contempler la rivière qui frémit en contrebas, c’est une ivresse qui n’est pas monnayable. C’est ici que je veux vivre, où la main d’un ami retrouvé se tend.
Le sentier
Il va nu le sentier
Le corps ombré de nos errances
Pour un moissonneur – Gustave Roud
À quoi bon repartir ce soir, puisque c’est toujours la même réponse au bout de la neige et de la nuit, la même lampe vers quoi les hommes tendent leurs mains endormies, les lèvres ouvertes sur des paroles qu’ils échangent en riant ? Toi seul par qui j’ai pu croire une heure qu’il n’est pas mortel de regarder vivre au lieu de vivre, que c’est encore une espèce de vie – et la plus belle -, je t’appellerais en vain là-bas de seuil en seuil. Les chiens comme autrefois savent bondir de leur sommeil, les rauques bêtes hurlantes à bout de chaîne, et ce n’est plus eux, mais la maison, mais les villages, mais toute la nuit qui aboient ! J’ai perdu cœur. Je t’appelle ici près de ma lampe morte, les lèvres closes, les yeux fermés.
Pour un moissonneur (extrait) – Gustave Roud
Fers
Je n’écris pas pour dire mes chaînes
mais pour que le mot incorpore le fer
pour que la voix y retentisse et habite
pleinement, ce qui nous terrifie
J’ai perdu ton odeur, et la mémoire avec
ta consistance est un nom que je me répète
Je remonte à contre-courant le gave
j’implore cette eau, quelque chose peut surgir
de ma peau
Passer l’écluse
Les vieux se taisent
ils écoutent
les souvenirs qui bavardent
ils regardent
les autres passer
le temps branlant entre leurs bras
Les vieux ont le visage souvent sombre et contrarié
dans cette rue, sur ce banc, le familier côtoie l’étranger
les vieux comme les enfants ont leur propre langage
qu’on ne peut comprendre qu’en franchissant l’écluse
l’eau plus on la regarde, plus elle se souvient
et nous chantonne le voyage
Un poème de Roberto Juarroz
Le vol le plus pur n’est pas toujours
à l’origine des choses.
Après la chute,
le vol est plus vol encore,
son aile va vers rien ou vers tout
et la beauté qui se brise
est plus de beauté encore.
Ainsi en témoigne le jour.
La lumière naissante
copie seulement la transparence.
Lorsque cette lumière se fracture,
la transparence trouve son corps complet.
La même chose se produit avec la nuit.
L’ombre commence toujours par imiter la mort,
mais au centre vivant de l’ombre
pousse une branche obscure
que la nuit préserve
comme si elle était un chant.
Et à son extrémité la plus lente
il y a une fleur faite de mots.
Après la chute
s’achèvent les différences
entre la nuit et le jour.
Nuit-jour de ce qui veille sans cesse.
Roberto Juarroz, Quatorzième poésie verticale. Traduction de Sivia Baron Supervielle.
Un zeste d’impudeur
Aux oiseaux migrateurs
À ton regard
est suspendue une pierre
Autour de ton corps : rumeur et lumière confuse
Un fil suffit à maintenir endormi
le tic-tac de l’horloge
Ils croient voir sur tes lèvres un sourire
et dans tes yeux, une vague qui se soulève
Ce n’est que le vent qui frappe à ton front
alors que docile, tu lui tendais la nuque à rompre
Un fil suffit à maintenair l’écho
C’est la voix de condamnés qui émerge en chœur
des brumes et s’allonge au seuil de ta gorge
Ils croient voir sur tes lèvres un sourire
un miroir acquiescerait : tes lèvres saluent les ombres
qui ont pris possession de ta maison vide
Un oiseau migrateur redessine sans cesse
les limbes de tes yeux où pulse l’errance
La lune est grise, elle est si froide la nuit
Impénétrable asile qui te laisse choir dans sa matière noire
Un fil suffit à rendre ta chute
indolore indolente nonchalante
Gare des déserteurs
Le ballet des valises me fait oublier mes doigts froids et bleutés
le nuage qui sort de ma bouche ressemble à la fumée des locomotives
Demain je prendrai un train pour les vols planés
les jambes nidifiantes
pour les sentiers brûlants des paumes escarpées et audacieuses
Demain je prendrai un train pour les genoux terreux du jeu
pour les amours clandestines
la poitrine irréfléchie, un train pour le nu du cri
Tous les ciels m’iront demain que je fais tourner dans mon verre
on verra mes cuisses rire
mon ventre fier et insouciant
Demain je prendrai un train pour les odeurs salines des jouisseurs
qui se mordent la peau en se quittant sur les quais de gare
Un train pour les yeux de la mer
qui vous crachent son alcool fiévreux à la face
pas de celui que vous reprendrez : un ressac de soupirs
pour passer la nuit avec regret comme compagnon de voyage
Demain est un bel enfoiré qu’il me dit le train qui part
sans me taper l’épaule